30 août 2023, 15:02

ASKING ALEXANDRIA

Interview Danny Worsnop & Sam Bettley


Le groupe de metal alternatif britannique ASKING ALEXANDRIA s'est fait un nom au cours d'une bonne quinzaine d'années de carrière. Quiconque aime l’approche moderne du metal et du metalcore a forcément ce groupe en tête. Fondé par le guitariste Ben Bruce, mais aussi et surtout animé par le chanteur Danny Worsnop, ASKING ALEXANDRIA est un facteur de stabilité dans le monde où le metalcore prédomine.
Au fil des années, le groupe a également clairement affiché ses intentions d'aller au-delà de ce genre moderne. Voilà donc « Where Do We Go From Here? » son 8e album, un peu moins de quarante minutes en 11 nouvelles chansons où la diversité est un atout majeur, produit par Matt Good (HOLLYWOOD UNDEAD, FROM FIRST TO LAST...) et masterisé par Howie Weinberg (METALLICA, DEFTONES...) et Will Borza.

C'est à l'occasion du Hellfest, en juin dernier, que nous avons rencontré Danny, accompagné du bassiste Sam Bettley. Une interview elle aussi en nuance avec des sujets sérieux... et pas mal de second degré.  
 

Avant de parler du nouvel album, nous nous rencontrons aujourd’hui dans le cadre du Hellfest, événement que vous connaissez bien puisque vous vous y êtes déjà produits en 2013 et 2018. Comment avez-vous appréhendé cette troisième invitation ?
Sam Bettley : Nous avons l’habitude de faire beaucoup de festivals, mais une chose est certaine, c’est qu’ici, nous avons ressenti une énergie particulièrement incroyable. J’ai été frappé par l’intensité de ce qui nous revenait du public alors que nous étions placés assez tôt sur l’affiche par rapport aux horaires auxquels, en principe, nous jouons. Entre notre performance et la réponse des fans, cette date est un moment fort…
Danny Worsnop : En dehors du fait qu’il n’y a toujours pas l’air conditionné (rires)… J’ai du mal à me souvenir de nos précédentes participations, parce que j’étais cramé et complètement bourré. Non, sérieusement, ça a été énorme aujourd’hui. On a passé un super moment.

Juste un peu trop court, non ?
Danny Worsnop
: C’est vrai. On joue plus longtemps normalement.

Après la pandémie qui a cloué tous les groupes chez eux et annulé la plupart des festivals, les choses ont repris l’année dernière et beaucoup de musiciens rencontrés ici nous ont fait part de leurs difficultés à mettre sur pied des dates en Europe. Vous êtes touchés par ça ?
Danny Worsnop : C’est le coût global des choses qui est dingue.
Sam Bettley : Et c’est généralisé…
Danny Worsnop : Tout coûte excessivement cher et personne ne paye plus pour nous faire jouer et cela impacte les concerts et les tournées. Il faut rogner sur tout, réduire les dépenses.
Sam Bettley : C’est un défi de voyager, de réunir le matériel, d’employer une équipe, d’avoir des bus. Et c’est démultiplié quand tout cela se déplace. Je trouve que nous sommes super privilégiés de pouvoir encore le faire, même si à un moment donné, j’ai douté qu’on en ait la capacité. Cela nous oblige à redoubler d’inventivité pour assembler une tournée et que nous puissions assurer auprès des gens que cela emploie. Je suis épaté de voir qu’il y a 54 groupes ne serait-ce que pour cette journée à l’affiche. C’est énorme.
Danny Worsnop : On essaye de faire en sorte que les enfants aient de quoi manger et que l’électricité soit toujours là à notre retour. C’est devenu notre principale préoccupation sur le plan économique. Il y a pas mal de gens engagés dans cette aventure et cela nous rappelle plus que jamais qu’il faut gérer cela de manière raisonnée comme un business.

Vous vous êtes freinés à certains égards ?
Danny Worsnop
: Je serais bien venu en hélicoptère, mais ça m’a été refusé ! (rires) On a pris l’habitude de faire de la pyro. Ça, c’est hors de prix.
Sam Bettley : Ça se décide au moment où tu décris le show que tu aimerais avoir et là, on te dit : "non" pour ci, "non" pour ça et ça finit par réduire le superflu et devenir réaliste, mais on bataille pour ça.

Qu’est-ce qui fait, à vos yeux et en tant qu’artistes, la qualité d’un festival ?
Danny Worsnop : Indiscutablement, le confort. Il est primordial d’avoir un espace où tu puisses te détendre et aborder ton concert positivement.
Sam Bettley : C’est tout à fait ça. Pouvoir se détendre.
Danny Worsnop : Et de l’air conditionné ! (rires)
Sam Bettley : Evidemment, mais ça passe par la qualité du catering, des douches. En fait, des choses assez basiques que tu trouves normales à la maison, mais qui prennent beaucoup de sens quand tu tournes. Ça devient même essentiel quand tu te trouves loin de chez toi et que ça fait un mois et quelque que tu es sur la route. Après, il y a évidemment l’ambiance et le public, et ces conditions sont indiscutablement réunies au Hellfest.
Danny Worsnop : Au Hellfest, il y a une dimension visuelle et artistique supplémentaire…
Sam Bettley : Toute l’esthétique… cette déco. Au coeur des festivaliers aussi.
Danny Worsnop : Le souci du détail. Sur ce point, le Hellfest se démarque, car les autres ne l’ont pas.

Vous avez eu l’occasion de croiser des connaissances backstage ?
Danny Worsnop
: Je vais être franc avec toi, je porte encore mes fringues de scène et n’ai pas eu le temps de prendre une douche…
Sam Bettley : …mais dès qu’on l’aura prise, on ira voir certains amis comme TEN56. Aaron est un très bon pote.
Danny Worsnop : Voir les copains d’IRON MAIDEN…
Sam Bettley : Oui, on a croisé Steve juste avant le show. C’est énorme, c’est une légende pour nous tous. On a pu voir aussi THE HU. Nous tournons avec eux à partir en septembre et octobre et nous sommes sur le même label. Il va peut-être y avoir un tout petit souci de barrière de la langue, mais on arrivera à se comprendre.

Vous vous rappelez du premier festival auquel vous avez assisté en tant que fan ?
Danny Worsnop
: Je ne peux pas dire, je n’ai jamais été très civilisé au point d’aller dans le public (Sam se moque de lui en mimant un côté snob). En revanche, le premier festival que nous avons fait, en tant que groupe… En Europe… Ça me coûte de le dire, mais c’était probablement Groezrock.
Sam Bettley : Oui, ça me parle. Je me rappelle que c’était sous une tente et… je peux jurer ? On a merdé trois ou quatre fois le début de "The Final Episode". On ne comptait pas tous le même temps pour démarrer. Ouais, on était sous cette tente, énorme festival et on se disait, ça y est, on joue dans la cour des grands. Groezrock… mouais. C’est bien possible que ce soir le premier en Europe. C’est bizarre, parce que j’ai un trou noir sur la fin de journée. Cette fâcheuse tendance à donner des tickets de boisson aux groupes. Ils en filent trop !
Danny Worsnop : Tu plaisantes ! Ce n’est jamais assez (rires)
Sam Bettley : Mais pour en revenir à ta question initiale, mon premier festival dans le public, c’était Leeds en 2008. J’étais un gamin, on était dans la boue jusqu’au cou, loin du camping, paumé. Y avait des bouteilles de propane et des boules de feu à côté. C’était dingue, il n’y avait aucune règle. D’un côté, il y avait ce festival, dans la joie et la bonne humeur, et en marge, il y avait des trucs assez sauvages.

Venons-en au nouvel album, votre huitième. Avec un titre comme celui-ci - "Where Do We Go From Here?" (littéralement : "Et à partir d’ici, on va où ?") - l’heure est-elle au bilan du passé ou plutôt de se tourner vers l’avenir et une évolution ?
Danny Worsnop
: C’est surtout une question très introspective qu’on se pose beaucoup, que ce soit entre nous dans le groupe, sur les perspectives du métier, mais aussi dans nos vies personnelles.
Sam Bettley : C’est à la base une chanson que Danny a écrite et nous a envoyée. Je n’ai pas tout de suite imaginé que c’était une question relative à notre situation de groupe ; j’ai surtout flashé immédiatement sur ce titre qui claquait, parce que c’est une question à laquelle tout le monde peut s’identifier. Chacun se la pose au moins une fois dans sa vie. En somme : si tu penses que ta vie est écrite à l'avance entre maintenant et le jour de ta mort…
Danny Worsnop : … tu te trompes !
Sam Bettley : C’est ça ! C’est une question universelle et elle est directe, honnête. En plus, c’est une question qui en amène d’autres. Et j’ai trouvé que c’était une idée brillante de titre de chanson de la part de Danny.
 

Si tu penses que ta vie est écrite à l'avance, entre maintenant et le jour de ta mort… tu te trompes ! - Danny Worsnop


On ne peut s'empêcher de penser que l'idée qui sous-tend, c'est que le groupe, qui nous a fréquemment habitués à des variations musicales sur ses albums, se trouve aujourd'hui au début d'une nouvelle ère, non ?
Danny Worsnop : Oui, tout à fait. Nous nous sommes accordé du temps et l’opportunité d’être plus introspectifs dans ce que nous voulions exprimer sur le plan personnel et sur les vies que nous voulions vivre. Ça a beaucoup joué…
Sam Bettley : Je suis père de famille, comme tout le reste du groupe, à l’exception de Danny. Enfin, à ce que je sache…
Danny Worsnop : …
Sam Bettley : On a tous des mômes et ça transforme complètement son homme. C’est une autre perspective. J’ai envie de faire ce que je fais le plus longtemps possible, mais prendre le temps aussi de profiter de mes enfants. Avant, j’en n’avais rien à foutre. Là, tu as plus de responsabilités à endosser et tu réfléchis un petit peu plus. Au point où j’en suis de ma vie, j’ai des enfants âgés de 3 et 1 ans et suis encore en train de gamberger en permanence sur cette position, d’un côté et de l’autre de la barrière. Mais ça bouleverse tout.
Danny Worsnop : J’ai un chien et deux chats. Je sais ce que c’est. C’est presque la même chose.


Vous seriez plus sages, parce que plus vieux ?
Danny Worsnop
 : Plus vieux, c’est certain. Plus sages ? On peut lancer le débat…

Sam, tu vis sereinement cette question de paternité dans le monde de 2023 ?
Sam Bettley
: Je ne suis certainement pas serein. Mais comme mes grands-parents et mes parents l’ont fait, il faut apprendre à vivre avec ce monde qui évolue et change sans cesse. C’est sûr que ça pèse lourd ce qui se passe aujourd’hui. Nous sommes de la génération qui a vécu l’Internet gratuit, les réseaux sociaux et la naissance de toutes ces choses-là. Alors, nous sommes dans une période un peu bizarre actuellement. On voudrait connaître les réponses avant même de poser les questions. Les choses vont très vite. Trop vite. Plus vite en tout cas que le temps nécessaire pour les assimiler. On se raccroche à des choses comme la musique qui nous permettent de nous réunir.

Vous avez sorti trois singles avant la parution de l’album, qui donnaient un avant-goût de "Where Do We Go From Here?", ce mélange de titres très punchy qui ont fait votre renommée avec ces refrains imparables aux influences multiples. Je pense notamment à l’excellent "Psycho"…
Danny Worsnop
: C’est une chanson vraiment très sympa, grandiloquente…
Sam Bettley : Waouh… grandiloquente !?
Danny Worsnop : Mais tout à fait ! Une chanson pulsée par une sacrée énergie. En dépit des apparences, il n’y a pas une intention de message, ni une narration particulière.
Sam Bettley (taquin) : C’est un peu Danny quand il sort de ses gonds…
Danny Worsnop (imperturbable) : Il n’y a pas de message profond ni de signification précise.
 

Nous sommes juste des imbéciles avec des micros, pas des professionnels de santé. - Danny Worsnop


Etes-vous de ceux qui pensent que les artistes doivent utiliser leurs voix pour prendre la parole sur des sujets au nom de ceux qui ne sont pas audibles ?
Danny Worsnop
: Ça, c’est vraiment quelque chose qu’il faut prendre au cas par cas. La pertinence et la légitimité se déplacent sur un terrain très mouvant. Si, par exemple, tu souffres d’une situation ou d’un mal en particulier, que tu es confronté à cette question, c’est évident que tu peux le faire. Et encore… l’expérience des gens est tellement nuancée, propre à chacun, que cela représente toujours un risque de parler au nom d’une communauté ou d’un groupe que tu ne connais pas. Tu ne peux être certain d’incarner et de refléter correctement leur expérience.
Sam Bettley : C’est une position délicate pour un artiste, car tu sais que tu disposes de cette voix, mais tu ne veux pas non plus qu’elle ait un impact négatif et se retourne contre toi. Nous sommes des musiciens, des créatifs… Je ne suis pas certain que nous ayons commencé la musique dans l’optique qu’elle soit thérapeutique pour d’autres. Pour moi, c’est délicat, parce que je me garderais bien de donner des conseils et d’apporter une aide autre que celle que la musique est censée apporter. 
Danny Worsnop : Nous sommes des imbéciles. Nous sommes juste des imbéciles avec des micros, pas des professionnels de santé. Je n’ai jamais souffert de troubles mentaux et n’ai connu aucune expérience de ce type, et donc je ne me sens aucunement le droit de parler pour des gens qui en souffrent, car je n’y connais rien. Je suis juste un gars avec un micro.
Sam Bettley : Moi, j’en ai et je dois les gérer au quotidien, mais je serais bien incapable de comparer mon expérience à celle des autres. Regarde autour de nous, cet espace où nous sommes : tous ces gens sont réunis, mais différents et nous sommes encore plus uniques à l’intérieur. Je pense que c’est beaucoup plus un parcours personnel et, après, si la musique que nous faisons aide les gens, je suis absolument enchanté de ça.
Danny Worsnop (moqueur) : Et alors, nous sommes des super-héros.

Vous avez pendant de nombreuses années mis le paquet sur des tournées aux Etats-Unis et cela a porté ces fruits. Pour ne pas déroger à la règle et promouvoir "Where Do We Go From Here?", vous embarquez donc pour des concerts en Amérique du Nord avec THE HU, BAD WOLVES et ZERO 9:36 sous le titre "PsychoThunder Tour"…
Danny Worsnop : On voudrait changer ce nom de tournée que je trouve stupide pour le "Power Adaptour", parce que nous ne sommes pas un groupe originaire des Etats-Unis. Ce serait un jeu de mots sur le fait qu’il nous faut des adaptateurs sur cette tournée pour brancher tous nos appareils électroniques. 
Sam Bettley : Euh... pas sûr qu’on ait le temps de changer (rires)...
 

Blogger : Benjamin Delacoux
Au sujet de l'auteur
Benjamin Delacoux
Guitariste/chanteur depuis 1991, passionné de musique, entré dans les médias à partir de 2013, grand amateur de metal en tous genres, Benjamin Delacoux a rejoint l'équipe de HARD FORCE après avoir été l'invité du programme "meet & greet" avec UGLY KID JOE dans MetalXS. Depuis, il est sur tous les fronts, dans les pits photo avec ses boîtiers, en face à face en interview avec les musiciens, et à l'antenne de Heavy1, dont l'émission MYBAND consacrée aux groupes indépendants et autoproduits.
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