11 juillet 2018, 11:33

Bruce Dickinson

• "Scream For Me Sarajevo"

Album : Scream For Me Sarajevo

Sarajevo. 1994. La guerre. Un type assez fou pour aller donner un concert alors que la ville est assiégée. Cet homme s’appelle Bruce Dickinson (chanteur d’IRON MAIDEN, est-il besoin de le rappeler ?) et, accompagné de son groupe SKUNKWORKS qui était alors composé des très jeunes Alex Dickson à la guitare, de Chris Dale à la basse et du batteur Alex Elena (20 ans à peine à l’époque), ils ont joué au péril de leur vie sous la menace des bombardements et des snipers, véhiculés en transports blindés ou en banal camion avec une troupe de cirque sous le nom de The Serious Road Trip, un humour so british. Vingt ans plus tard, une équipe de cinéma s’est attelée à retrouver les personnes clés qui ont participé à l’élaboration de cette "folie" ou qui ont assisté à ce concert donné le 10 décembre 1994 au Centre Culturel Bosniaque pour une poignée de fans plus vivants que jamais et voulant échapper à l’horreur, ne serait-ce que quelques heures. Produit par Prime Time Productions, dirigé par Tarik Hodzic, Scream For Me Sarajevo a été écrit par Jasenko Pasic. Le batteur de l’époque, Alex Elena, a également prêté main forte à cette équipe pour mener à bien la réalisation de ce documentaire qui a récolté trois récompenses amplement méritées au Festival du Film de Sarajevo lors de sa première mondiale.

On suit donc cette aventure, cette épopée, au travers d’images d’époque et à travers le récit d’aujourd’hui des protagonistes d’alors. A l’exception du guitariste Alex Dickson (qui n’a peut-être pas voulu raviver des souvenirs douloureux ou pour des questions de planning, selon le communiqué officiel), les deux autres membres de SKUNKWORKS sont présents tout au long de ce film, s’étant même rendus sur place pour marcher dans la trace des pas qui furent les leurs lors de cet hiver 1994. Les musiciens des groupes de première partie qui témoignent également parlent d’une parenthèse dans le temps, d’une brèche spatio-temporelle, d’une expérience quasi surnaturelle pour qualifier la venue du “Dieu” Bruce Dickinson dans leur ville ravagée par les bombes. Et on veut bien les croire lorsque l’on se met un court instant à leur place ou, du moins, que l’on essaie. Autre instigateur et également coordinateur de ce concert, l’ex-Major Martin Morris a tenu un rôle primordial et prépondérant dans la réussite de ce projet insensé et il se doit d’être salué à la hauteur de ce qu’il a accompli avec presque rien, le minimum de soutien de sa hiérarchie militaire mais surtout avec une volonté énorme.

L’accent est mis dans ce film sur l’environnement qui accueille la venue du groupe et il décrit en détails la situation sur place, nous montrant des images de désolation, d’immeubles éventrés ou détruits par les bombardements et d’autres, plus insoutenables encore, d’hommes, de femmes et d’enfants morts comme autant d’innocents abattus par des snipers sans la moindre once de pitié à leur égard. L’image de ce petit garçon de moins de 10 ans face contre terre, une balle en pleine tête et de laquelle se répand une flaque de sang alors qu’il vient de réclamer vingt secondes plus tôt un bonbon qu’un soldat n’a pu lui donner faute d’en avoir, hante les mémoires bien longtemps après avoir terminé le visionnage de ce documentaire. Mais tel est la nécessité de mettre le spectateur en face de ce que les musiciens et leurs accompagnateurs ont vu et vécu lors de ces jours passés sur place, que ce soit les musiciens de Bruce ou ceux des groupes qui ont joué en première partie et dont l’un des musiciens raconte : « J’ai passé trois jours au front puis deux jours à répéter et je suis reparti au front ensuite. (…) Quand j’ai rejoint l’armée, tous mes amis se sont fait tuer, alors j’ai eu une promotion. (…) J’ai tué une vieille dame une fois. J’ai fait une dépression et suis resté à l’hôpital pendant un moment mais je suis retourné me battre. »

Le bassiste Alex Dale fait lui aussi des constats qui décrivent bien la situation : « Quand ton groupe est connu et qu’il marche bien, on te file des cordes gratuites (NDR : de guitare ou de basse). Quand il est inconnu, tu te les paies. Mais dans un pays en guerre, tu ne peux même pas en acheter ! ». Il se remémore aussi des moments plus légers émaillant toute cette guerre, à l’instar du « Major Morris [qui] faisait de l’air guitar sur le côté de la scène. Je ne pensais pas que les gradés de l’armée faisaient ce genre de trucs mais apparemment, si. » Bouleversant enfin, un Bruce Dickinson finissant en larmes lorsqu’il se remémore sa visite plus que douloureuse dans un orphelinat local : « Alex (Ndr : Dickson, guitariste du groupe) et moi avons fait une session acoustique dans un orphelinat. C’est toujours un endroit triste mais cet orphelinat n’abritait que des enfants ayant perdu leurs parents pendant cette guerre. Il y en a même qui les ont vus se faire assassiner sous leurs yeux et étaient toujours en état de choc. Certains regardaient fixement devant eux quand d’autres s’accrochaient à mes jambes et à celles d’Alex, nous sachant proches de quitter ce pays de désolation et nous suppliant de les emmener loin d’ici. » Bruce que l’on voit également à la fin du documentaire revenir pour la première fois à Sarajevo depuis vingt ans, retrouvant tous ses comparses d’alors et qui remonte sur les planches de la salle qui l’a accueillie ce 10 décembre 1994 pour crier une nouvelle fois en guise d’hommage à ceux qui sont tombés, et plus encore à tous ceux qui ont pu résister et rester debout : « Scream for me Sarajevo! »

Le documentaire est déclinée en CD et vinyl et l’on y entend la bande-son, constituée uniquement de morceaux de la carrière solo de Bruce (à l’exception dans le film d’un court extrait de ''Run To The Hills'', morceau d’IRON MAIDEN). Au programme, des chansons qui ont une résonnance particulière telles que ''Tears Of The Dragon '', ''Change Of Heart '', ''Omega '', ''Gods Of War '', une version live de ''Inertia '' interprétée par SKUNKWORKS et qui toutes dégagent un sentiment de mélancolie et de déchirement mêlés qui trouve son zénith à l’écoute de ''Eternal'', une chanson bonus uniquement disponible jusqu’alors sur l’édition japonaise de l’album « Tyranny Of Souls », le dernier disque en date du chanteur. Fans de Bruce Dickinson ou pas, d’IRON MAIDEN ou non, voici un documentaire qui au travers d’un événement particulier, le concert, nous rappelle une page de l’Histoire particulièrement sombre, celle de trois ans de guerre en Bosnie-Herzégovine ayant fait près de 100 000 morts (dont un tiers de civil, soit un véritable génocide) et où quelques personnes sur place, une frange de la jeunesse en l’occurrence, ne s’est jamais résignée et a trouvé la force d’avancer grâce au rock et à la venue d’un homme.

Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il est un Messie mais à travers son parcours global en tant qu’homme d’abord et de musicien ensuite, l’inspiration qu’il a su donner tout au long de sa carrière à des milliers de personnes et la force et l’espoir qu’il a fait naître chez certains comme on le voit dans ce documentaire, alors on peut quand même se poser légitimement la question de savoir s’il ne vient pas d’ailleurs finalement. Et loin de laisser la mort l’emporter, Bruce de conclure par un définitif : « Scream For Me Sarajevo est un film sur la vie ! ». Longue vie à lui donc !

Blogger : Jérôme Sérignac
Au sujet de l'auteur
Jérôme Sérignac
D’IRON MAIDEN (Up The Irons!) à CARCASS, de KING’S X à SLAYER, de LIVING COLOUR à MAYHEM, c’est simple, il n’est pas une chapelle du metal qu'il ne visite, sans compter sur son amour immodéré pour la musique au sens le plus large possible, englobant à 360° la (quasi) totalité des styles existants. Ainsi, il n’est pas rare qu’il pose aussi sur sa platine un disque de THE DOORS, d' ISRAEL VIBRATION, de NTM, de James BROWN, un vieux Jean-Michel JARRE, Elvis PRESLEY, THE EASYBEATS, les SEX PISTOLS, Hubert-Félix THIÉFAINE ou SUPERTRAMP, de WAGNER avec tous les groupes metal susnommés et ce, de la façon la plus aléatoire possible. Il rejoint l’équipe en février 2016, ce qui lui a permis depuis de coucher par écrit ses impressions, son ressenti, bref d’exprimer tout le bien (ou le mal parfois) qu’il éprouve au fil des écoutes d'albums et des concerts qu’il chronique pour HARD FORCE.
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