2 mars 2024, 23:59

IN THEATRUM DENONIUM - ACT VIII

@ Denain (Théâtre de Denain)


Le huitième acte de l'In Theatrum Denonium a offert un voyage dans les arcanes variés du metal extrême. Le rituel, dans le cadre majestueux et flamboyant du Théâtre à l’italienne de Denain, a distribué aux nombreux adeptes – le festival affichait complet – quatre lames, quatre cartes bien différentes.

Le forfait tardif, pour raisons familiales, des Thrashers SCHIZOPHRENIA a contraint les organisateurs a trouvé un remplaçant en urgence. Habitués à ce genre de désagrément – CARPATHIAN FOREST s’était désisté lors de la cinquième édition – ils ont surmonté cet obstacle en conviant CRYPTOSIS. Venu des Pays-Bas, ce trio, autrefois baptisé DISTILLATOR, décline avec maestria un thrash ultra technique qui évoque VOIVOD ; c’est frappant sur l’immense "Death Technology", jusqu’au nom du morceau... Pendant 40 minutes, les spectateurs sont projetés en 2149 dans un futur angoissant, où l’humanité croupit sous le fardeau de ses dérives... Bienvenue dans un monde sinistre, sous l’œil de l’étrange casque fixé au pied de micro du chanteur, tout de noir vêtu comme ses compagnons.
Les musiciens sont calés sur des vidéos qui déclinent en image le concept du dernier album du groupe, « Bionic Swarm », joué dans l’ordre et en quasi-intégralité ; seul manque "Game Of Souls". Entre longues plages instrumentales haut de gamme, agressivité death ("Transcendance"), sophistications à la PESTILENCE, aspirations quasi progressives, ralentissements bienvenus ("Prospect Of Immortality" aux dissonances énigmatiques) et atmosphères angoissantes, un paysage accidenté ("Mindscape") se dessine, à grands coups de pinceau saccadés. Les Bataves ont délivré leurs compostions réfléchies, complexes mais jamais rébarbatives, avec maestria et conviction.


Si CRYPTOSIS fait découvrir les horreurs de demain, INFERNO, avec un black metal glacial, semble révéler des monstruosités depuis longtemps enfouies. Ombre dans la fumée, silhouette encapuchonnée dans la pénombre, le chanteur, souvent voûté, ne laisse voir que ses doigts qui invite la salle à entrer dans son univers pesant, oppressant. Le guitariste, visage invisible comme celui de ses comparses, déploie ses gestes avec emphase, marionnette possédée par une force supérieure.
Sur les écrans défilent des images ésotériques de triangles et d’étoiles, signes cabalistiques et incantatoires. Les Tchèques récitent une longue mélopée, une prière de pierre traversée de furieuses accélérations, portée par une voix d’outre-tombe. Les sortilèges opèrent et, des tréfonds de notre âme, rejaillissent de viles pensées, des souvenirs lugubres que l’on croyait oubliés...


Avec DESASTER, plus de mystères mais du direct, du droit au but, du « faut reconnaître... C’est du brutal ». Les quatre teutons tontons flingueurs – enfin plutôt trois et un neveu, plus jeune, harnaché en mode SM, le visage maquillé – dégoupillent de façon approximative, mais avec bonhomie et humour, un bon vieux thrash/black des familles, branche SODOM, DESTRUCTION, VENOM, dont ils reprennent un "Countess Bathory" acclamé par les fans.
Cartouchières, bracelets cloutés et vestes à patchs sont de sortie pour cette formation née en 1988 ! Les premiers pogos de la soirée éclatent au fil de morceaux brutaux tantôt vite expédiés, tantôt mid-tempo (un "Damnatio ad Bestias" bien troussé, idéal pour headbanger sans retenue). Le guitariste, cheveux longs sur les côtés d’un crâne dégarni, multiplie les pains en mode Jésus, jamais avare de grimaces et de poignées de main aux fans des premiers rangs. Le chanteur arrache tant bien que mal ses parties sans se départir d’un grand sourire.
Le tempo ralentit sur le ténébreux "Churches Without Saints" avant que la fiesta ne reprenne de plus belle pour s’achever sur une version déglinguée mais euphorique du classique "Speak English Or Die". Les Allemands ne correctionnent plus, dynamitent, dispersent, ventilent. Cette heure de metal dans ce qu’il de plus brut et de jouissif a filé à toute vitesse. Concluons toujours avec Michel Audiard : du DESASTER, « j’ai connu une Polonaise qu’en prenait au petit-déjeuner... Faut quand même admettre qu’c’est plutôt une boisson d’homme ».


Dernière carte jouée des organisateurs, DØDHEIMSGARD arrive sur scène au son des premières notes à la pureté magique de "Et Smelter", mer douce et apaisante qui se transforme en océan impétueux à grands coups de blasts et de riffs tranchants avant de changer de forme, encore et encore. Tantôt Joker phoenixien, tantôt elfe taquin, Vicotnik est l’incarnation de cette musique aux mille reflets. Le chanteur, âme de la formation qui a vu passer en son sein pervers de noires fleurs du black norvégien, de Fenriz à Apollyon en passant par Aldrahn ou Alver, se livre, se met à nu en une sarabande intense et incessante. Souvent effrayant, quand il crache d’une voix maudite d’incompréhensibles paroles – sur le martial et ancestral "Kronet Til Konge" – quand il se roule par terre ou se drape dans un châle d’un autre âge, il s’amuse aussi avec les musiciens ou le public, qu’ils ne cessent d’asperger de poudre verte.

Le contraste entre le frontman possédé et ses camarades, soit impassibles, soit headbangant, est étonnant, comme s’ils vivaient dans deux mondes différents, voire opposées. Alors que des images évocatrices se succèdent sur l’écran géant, le groupe navigue dans sa discographie, lorgne vers son passé d’avant 2000, d’avant la transformation de DØDHEIMSGARD en DHG. L’heure est à un black presque classique ("Sonar Bliss"), à une sorte de grind industriel malsain ("Ion Storm"), au final thrash d’essence satanique ("The Ultimate Reflexion" et "The Crystal Viper" tirés de l’essentiel « Monumental Possession »).
Comme aucun album n’est oublié, pas même le plus fade « Supervillain Outcast », les chefs d’œuvre sont au rendez-vous, à l’image des sublime "Traces Of Reality" à la violence glacée, "Aphelion Void", union emblématique de riffs black et de sonorités indis, et "Interstellar Nexus", périple spatial à travers une infinité de galaxies, où de multiples soleils décharnés brillent de lueurs électroniques, de fureurs mortifères, de timides éclats floydien. Quand un concert devient une sidérante odyssée sidérale...

L’acte VIII de l’In Theatrum Denonium, rehaussé des deux prestations acoustiques, devant ses tableaux, de Jeff Grimal données sous le nom de KESYS, a été une totale réussite. Nord Forge, l’association qui pilote le festival, a amélioré de nombreux détails importants – offre alimentaire, gestion des flux... – pour faire de son bébé un événement majeur, incontournable pour les amateurs d’arts nocturnes.

Blogger : Christophe Grès
Au sujet de l'auteur
Christophe Grès
Christophe a plongé dans l’univers du hard rock et du metal à la fin de l’adolescence, au tout début des années 90, avec Guns N’ Roses, Iron Maiden – des heures passées à écouter "Live after Death", les yeux plongés dans la mythique illustration du disque ! – et Motörhead. Très vite, cette musique devient une passion de plus en plus envahissante… Une multitude de nouveaux groupes a envahi sa vie, d’Obituary à Dark Throne en passant par Loudblast, Immortal, Paradise Lost... Les Grands Anciens – Black Sabbath, Led Zep, Deep Purple… – sont devenus ses références, comme de sages grands-pères, quand de jeunes furieux sont devenus les rejetons turbulents de la famille. Adorant écrire, il a créé et mené le fanzine A Rebours durant quelques années. Collectionneur dans l’âme, il accumule les set-lists, les vinyles, les CDs, les flyers… au grand désarroi de sa compagne, rétive à l’art métallique.
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