23 janvier 2024, 15:44

CALIGULA'S HORSE

"Charcoal Grace"

Album : Charcoal Grace

Paralysé par la pandémie et ses confinements successifs, CALIGULA'S HORSE n’a pu défendre comme il se doit son excellent cinquième album, « Rise Radiant » paru en mai 2020. Et si les Australiens ont pu remonter sur scène dans leurs pays, il aura quand même fallu attendre 2023 pour qu’ils puissent repartir en tournée en Europe (hélas, évitant soigneusement la France) et en Amérique du nord. Cela dit, le désormais quatuor de metal progressif de Brisbane (depuis le départ du guitariste Adrian Goleby en juillet 2021) n’est pas resté les bras croisés, puisqu’il a mis au monde sa sixième offrande, « Charcoal Grace », et certainement le disque le plus ambitieux à ce jour.

Sans être un concept album, cette nouvelle production est articulée autour de la chanson-titre, une composition centrale de 24 minutes divisée en quatre parties. Cette suite conte l’histoire d’un enfant séparé d’un parent et de la relation qui en découle, de la complexité de l’humanité, de la compréhension des responsabilités et de la nécessité du pardon, alors que les autres chansons sont majoritairement autobiographiques et liées à l’isolement, l’immobilité, la perte des repères et l’étrange beauté du silence. En effet, conçu au milieu de la pandémie, « Charcoal Grace » est imprégné de cette ambiance si particulière d’arrêt brutal, de pause à durée indéterminée que nous avons subie, sans savoir si l’on allait retrouver la même vie qu’avant. D’où cette volonté de Sam Vallen, le génial compositeur et guitariste du groupe, de s’éloigner de l’album précédent et des espoirs placés en lui devenus désormais obsolètes. Repartir d’une page blanche pour porter un regard neuf sur ce monde, et par conséquent, composer différemment, est le leitmotiv de cet album.  Parce que si le style et la patte de CALIGULA'S HORSE sont immédiatement reconnaissables, l’approche est différente.

"The World Breathes With Me", avec son introduction toute en légèreté, est le morceau qui rappelle le plus les travaux antérieurs du groupe, notamment le superbe « In Contact » (2017). Evoluant entre douceur et lourdeur, avec des harmonies et mélodies contrastées, cette chanson de 10 minutes montre le large panel de styles dont le groupe est capable. Jim Grey fait un travail phénoménal sur ce disque, sa voix claire se montrant tour à tour cajoleuse, murmurante, agressive, puissante et jamais ne tombe dans les excès de démonstration. Toujours dans la justesse et l’émotion sincère, le chanteur nous balade dans mille nuances au sein d’un même morceau. La section rythmique avec Dale Prinsse à la basse et Josh Griffin à la batterie distille un groove irrésistible, tandis que Sam Vallen, en charge de toutes les guitares, offre des moments de grâce pure et des soli tous plus sublimes les uns que les autres. "Golem", choisi comme premier single, est une chanson heavy et puissante, sur laquelle Jim Grey passe d’un flow ultra groovy et susurré à la Michael Jackson, à un refrain brut et frontal sur lequel il aborde même pour la première fois un growl sorti des tripes, certes court, mais particulièrement bien placé pour apporter du contraste à l’ensemble (« Now sing, wreck »). Rythmique saccadée, guitares déversant un déluge de notes maîtrisées, mélodie addictive, tout y est pour en faire l’un des moments forts du disque.

Vient alors "Charcoal Grace" et ses quatre parties aux ambiances distinctes. En tout premier lieu, "I: Prey" qui installe la scène, en alternant rythmique vivace et moments éthérés, et l’on a aucune peine à entendre l’histoire de cet enfant qui reste là, celui qu’on ne peut effacer, celui qui est un cadeau autant qu’un fardeau : « There's no room for me in your small heaven. But nothing could erase me, or what I am. I am the weight, the worry, I am the hurt, the hurry. Without the hate to carry, I could have been somebody » (« Il n'y a pas de place pour moi dans ton petit paradis. Mais rien ne pourrait m'effacer, ou ce que je suis. Je suis le poids, l'inquiétude,  je suis le chagrin, la hâte. Sans la haine à porter, j'aurais pu être quelqu'un. ») "II: A World Without" est un mid-tempo orné d’un superbe solo de guitare qui mène ensuite à la magnifique troisième partie, "III: Vigil", un moment acoustique de toute beauté où la voix de Jim Grey règne en maître et diffuse tant d’émotion que le ventre se noue. Le final "IV: Give Me Hell" est un somptueux morceau progressif à la tension palpable, qui reprend le refrain de "Prey", puis s’achève dans un crescendo final poignant : « Give back the years you stole and beg me. I can still see you here in my reflection. Go on, preach to me on hell now. I am the hate you gave me. I am only what you made me. Hell is you » (« Rends-moi les années que tu as volées et supplie-moi. Je peux encore te voir dans mon reflet. Vas-y, prêche-moi ton enfer maintenant. Je suis la haine que tu m'as donnée. Je ne suis que ce que tu as fait de moi. L'enfer c'est toi. »)

Après ce déferlement d’émotions exacerbées, "Sails" se pose comme une douce promenade rêveuse, une saine réflexion sur le monde, un instant de poésie suspendu dans le temps. "The Stromchaser", judicieux troisième single, possède un refrain efficace et mémorisable ainsi qu’un solo à se damner. Malgré la longueur des morceaux, jamais on ne s’ennuie, car leurs structures sont savamment étudiées pour maintenir l’attention de l’audience à chaque instant, avec leurs circonvolutions et changements de rythmes qui s’enchaînent avec une grâce naturelle.

Pour clore ce nouveau chapitre de la plus belle des manières, CALIGULA'S HORSE nous offre le sublime dernier titre "Mute", qui traite de l’angoisse de la page blanche et qui démarre avec la voix puissante du chanteur résonnant jusque dans les tréfonds de l’âme : « I stood on the mountain with nothing in the way. Feet firm on the mountain with no voice to speak, and nothing left to say » (« Je me suis tenu sur la montagne sans rien sur le chemin. Les pieds fermes sur la montagne, sans voix pour parler, et sans rien à dire. ») Une petite flute et une mélodie entêtante s’en mêlent avant que le rythme ne s’emballe dans une frénésie djent. Sur le pont, la flûte revient pour un solo délicat et émouvant puis est rejointe par les autres instruments pour un moment cinématographique évocateur en forme d’apothéose. Et toujours cette voix savamment dosée, ce falsetto sensible et raffiné que Jim Grey distille tout au long de l’album, qui, couplée au talent de compositeur de Sam Vallen, font de CALIGULA'S HORSE un groupe à part sur la scène du metal progressif.

« Charcoal Grace » présente le visage d’un groupe qui se renouvelle avec ingéniosité, qui s’offre la liberté de s’exprimer pleinement, sans chercher à se brider, laissant place à une immense créativité et un sens de la poésie hors du commun. Il y a quelque chose de profondément touchant chez CALIGULA'S HORSE, une sincérité sans fard, une délicatesse assumée, un velours soyeux habillant une main ferme et puissante. Cet équilibre entre grâce et intensité est le plus bel atout de ce nouvel album. La magie qui s’en dégage n’a pas de prix. Puisse cet album offrir au groupe, c’est tout le mal qu’on leur souhaite, la reconnaissance qu’il mérite !

Blogger : Sly Escapist
Au sujet de l'auteur
Sly Escapist
Sly Escapist est comme les chats : elle a neuf vies. Malgré le fait d’avoir été élevée dans un milieu très éloigné du monde artistique, elle a réussi à se forger sa propre culture, entre pop, metal et théâtre. Effectivement, ses études littéraires l’ont poussée à s’investir pendant 13 ans dans l’apprentissage du métier de comédienne, alors qu’en parallèle, elle développait ses connaissances musicales avec des groupes tels que METALLICA, ALICE IN CHAINS, SCORPIONS, SOUNDGARDEN, PEARL JAM, FAITH NO MORE, SUICIDAL TENDENCIES, GUNS N’ROSES, CRADLE OF FILTH, et plus récemment, NIGHTWISH, TREMONTI, STONE SOUR, TRIVIUM, KILLSWITCH ENGAGE, ALTER BRIDGE, PARKWAY DRIVE, LEPROUS, SOEN, et tant d’autres. Forcée d’abandonner son métier de comédienne pour des activités plus «rentables», elle devient tour à tour vendeuse, pâtissière, responsable d’accueil, vendeuse-livreuse puis assistante commerciale. Début 2016, elle a l’opportunité de rejoindre l’équipe de HARD FORCE, lui permettant enfin de relier ses deux passions : l’amour des notes et celui des mots. Insatiable curieuse, elle ne cesse d’élargir ses connaissances musicales, s’intéressant à toutes sortes de styles différents, du metalcore au metal moderne, en passant par le metal symphonique, le rock, le disco-rock, le thrash et le prog. Le seul maître-mot qui compte pour elle étant l’émotion, elle considère que la musique n’a pas de barrière.
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