29 août 2023, 19:10

SOEN

"Memorial"

Album : Memorial

Après les excellents « Lotus » (2019) et « Imperial » (2021), SOEN revient avec un sixième album qui s’avère être tout aussi superbe, mais travaillé différemment, pour notre plus grand bonheur. En effet, si certains détracteurs ont pu reprocher au groupe suédois de ne pas se renouveler par le passé, ils ne pourront pas en dire de même avec ce « Memorial » qui le voit sortir de sa zone de confort pour explorer des territoires inhabituels. Si l’on reconnait sans aucun doute la marque de fabrique de SOEN dans les riffs et la mélancolie qu’évoque ses chansons, on peut toutefois constater des changements notables, et plus qu’appréciables, sur cette nouvelle réalisation.

Et cela commence dès la première chanson, "Sincere", avec son rythme trépidant et son refrain qui fait mouche. De la sincérité, le groupe n’en manque point et nous l’a maintes fois prouvé. Martin Lopez, derrière les fûts, fait encore des merveilles, avec sa frappe technique, précise et puissante. Un vent de fraicheur souffle aussi dans les guitares (Cody Lee Ford, toujours pourvoyeur de soli superbes, et Lars Enok Åhlund, également chargé des claviers) qui se font mordantes et heavy, bien plus rapides qu’à l’accoutumée. Quant à Joel Ekelöf, il ose enfin se lâcher pour élargir sa palette vocale et s’essayer à des tonalités plus claires, et à des attaques plus rageuses qu’auparavant. Même s’il n’en délaisse pas le côté soft, chaud et rond de sa voix, comme sur le pont du morceau, tout en délicatesse, cette agressivité nouvelle est fort bienvenue et donnera sans aucun doute un dynamisme certain aux concerts à venir. Attaque incisive également sur "Unbreakable", le premier single paru en mai dernier. Avec son refrain presque pop, mais ô combien fédérateur (« I need something to believe / Outside the world is dark but we are cursing the sun / I need something to believe / We're marching as the army of the unbreakable ») et son élan heavy classieux, il a tout d’un tube en puissance. Doté d’un break au piano avec chœur a cappella et final harmonisé, il nous rappelle les récents travaux du groupe sur « Atlantis », l’album tiré du livestream que SOEN a réalisé en 2021, qui le voyait revisiter ses chansons en version acoustique, soutenu par un orchestre de chambre. "Vitals" qui clôt l’album met d’ailleurs en avant les orchestrations, au sein d’une ballade Pink Floydienne, pour un résultat très classic-rock. "Violence", l’un des très bons titres de « Memorial » est un mid-tempo qui monte progressivement en intensité, pour atteindre un climax émotionnel sur le final. Section rythmique en béton (la basse de Oleksii "Zlatoyar" Kobel ressort  particulièrement bien), nappes de claviers menaçantes, guitares à l’unisson. Démarrant avec le chant presque chuchoté de Joel Ekelöf, la chanson prend son ampleur avec un refrain somptueux qui fait dresser les poils. Là encore, le chanteur, souvent accusé de trop de linéarité par le passé, explore diverses manières de délivrer son chant et ses émotions pour un résultat plus que réussi. Il démontre ainsi, si besoin était, qu’il est et reste l’un des meilleurs interprète du circuit.

Ce n’est qu’à partir du quatrième titre, "Fortress", que l’on retrouve les cavalcades de riffs typiquement Soeniens comme sur les classiques "Lumerian", "Martyrs" ou bien encore "Sectarian" sur les albums précédents. Certes, nous sommes en terrain connu, mais cette chanson punchy possède un groove et une vivacité irrésistibles, dont la mélodie finale n’est pas sans rappeler les harmonies de twin guitars à la MAIDEN. Le joyau de cet album arrive à mi-parcours : "Hollowed" est une ballade d’une délicate beauté, bouleversante de sensibilité, puissante et fragile à la fois. Pour la première fois de sa carrière, SOEN a invité une autre voix à se joindre à celle de Joel Ekelöf pour un mariage aussi sensuel que déchirant. Une voix féminine, celle de la chanteuse Elisa, claire mais aussi légèrement voilée, qui se retrouve être le parfait complément émotionnel au chant intense de Joel. Le tout rehaussé par un somptueux solo délivré par le génial Cody Ford, toujours merveilleusement inspiré, et, comme à l’accoutumée, par des paroles profondes et sensées : « Are we strong enough to move on from this neverending loneliness ? Will we find the way to find hope ? Will our demons to be lay to rest ? » (« Sommes-nous assez forts pour sortir de cette interminable solitude ? Trouverons-nous le chemin de l'espoir ? Nos démons vont-ils s’apaiser ? ») Un morceau à la hauteur des diamants que sont "Lotus", "The Words" et "Lunacy", entre autres. Le groupe est passé maître dans l’art d’écrire des compositions à fleur de peau comme "Hollowed", qui transportent les auditeurs dans d’autres sphères émotionnelles. Mais le visage de SOEN est pluriel, et à la douceur succède la révolte, comme dans la chanson-titre. "Memorial" est un pamphlet aux guitares acérées et à la rythmique plombée contre nos soi-disant dirigeants, qui jouent avec la vie et la mort des citoyens. Tels des gosses sans cœur, égoïstes et irresponsables, ils n’ont aucun remord à détruire des vies pour leurs petits jeux de pouvoir malsain, causant ainsi d’irréparables souffrances. Et existe-t-il un meilleur bouclier contre les violences du monde que la musique ? Tandis que les gouvernements s’acharnent à nous désunir, l’art rassemble les êtres dans un même élan de générosité et partage.

"Incendiary" est de la même veine que "Fortress" : un titre entraînant, heavy, avec une belle ligne mélodique, qui dynamise l’album. "Tragedian" montre la facette mélancolique de SOEN au sein d’un mid-tempo fort et sensible. Le solo de Cody Ford est, encore une fois, superbe. Les envolées vocales de Joel Ekelöf sont poignantes et ne tombent jamais dans le pathos. Son chant offre un juste équilibre entre sensibilité et puissance, à l’instar de ses acolytes qui naviguent constamment entre mélodie, force et complexité technique. Preuve que si le quintet se renouvelle en proposant une musique aux sonorités hard rock parfois plus accessible, il n’en demeure pas moins l’un des piliers du metal progressif actuel. "Icon" est le plus véloce de l’album et fera certainement l’unanimité en concert, tant ce morceau est irrésistiblement entraînant avec ses guitares saccadées et son rythme marqué. Et s’il est doté d’un break doux et caressant ainsi que d’un solo spatial, c’est pour mieux repartir dans un tourbillon d’énergie menant à un long cri furieux qui ne s’éteint qu’à la dernière note. Ce sixième album se referme sur un instant de grâce avec "Vitals", une ballade éthérée, portée par les délicates notes de piano de Lars Enok Åhlund et la rythmique jazzy de Martin Lopez, qui part dans des envolées lyriques et orchestrales de toute beauté. On y retrouve le charme, la poésie et la profondeur que le groupe a su déployer sur « Atlantis ». Lorsque la tension s’apaise pour laisser place à la finesse des notes suspendues dans l’air comme autant de minuscules gouttelettes  parties semer leur rosée bienfaisante, on assiste à une parenthèse enchantée, aussi rare que précieuse.

L’artwork aussi beau qu’inquiétant de « Memorial » résume bien le contenu de cet album : un couple tout de noir vêtu, comme la noirceur du monde qui nous entoure, portant un masque à gaz, sorte de respirateur artificiel, tous deux reliés à un cœur commun qui infuse sa générosité et son amour. Seul point lumineux, vivant, qui nous rattache les uns aux autres. Et finalement, pour que cette noirceur ne nous envahisse pas, ne faut-il pas partager ce que l’on possède de plus beau, comme le fait SOEN avec cet album splendide ?

Blogger : Sly Escapist
Au sujet de l'auteur
Sly Escapist
Sly Escapist est comme les chats : elle a neuf vies. Malgré le fait d’avoir été élevée dans un milieu très éloigné du monde artistique, elle a réussi à se forger sa propre culture, entre pop, metal et théâtre. Effectivement, ses études littéraires l’ont poussée à s’investir pendant 13 ans dans l’apprentissage du métier de comédienne, alors qu’en parallèle, elle développait ses connaissances musicales avec des groupes tels que METALLICA, ALICE IN CHAINS, SCORPIONS, SOUNDGARDEN, PEARL JAM, FAITH NO MORE, SUICIDAL TENDENCIES, GUNS N’ROSES, CRADLE OF FILTH, et plus récemment, NIGHTWISH, TREMONTI, STONE SOUR, TRIVIUM, KILLSWITCH ENGAGE, ALTER BRIDGE, PARKWAY DRIVE, LEPROUS, SOEN, et tant d’autres. Forcée d’abandonner son métier de comédienne pour des activités plus «rentables», elle devient tour à tour vendeuse, pâtissière, responsable d’accueil, vendeuse-livreuse puis assistante commerciale. Début 2016, elle a l’opportunité de rejoindre l’équipe de HARD FORCE, lui permettant enfin de relier ses deux passions : l’amour des notes et celui des mots. Insatiable curieuse, elle ne cesse d’élargir ses connaissances musicales, s’intéressant à toutes sortes de styles différents, du metalcore au metal moderne, en passant par le metal symphonique, le rock, le disco-rock, le thrash et le prog. Le seul maître-mot qui compte pour elle étant l’émotion, elle considère que la musique n’a pas de barrière.
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